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Focus sur Deniz Naki : un joueur symbole du FCSP

Deniz Naki est né le 9 juillet 1989 à Düren (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) en Allemagne et possède également la nationalité turque. Il évolue aux postes d’ailier gauche, d’attaquant en retrait ou de pointe. Mesurant 1,76 mètre, il fait partie des petits gabarits dans le football actuel, ce qui ne l’a pas empêché de connaître une carrière très riche en raison de ses capacités techniques et de son explosivité. Parcourons ensemble sa carrière débutée à Düren et au Bayer Leverkusen et dans laquelle son passage au FC St. Pauli représente une sorte de symbole pour un joueur aussi combatif sur les terrains qu’en dehors.

Une jeunesse allemande : les années Bayer Leverkusen

Avant de signer pour le centre de formation du géant de la Rhénanie, Deniz, comme de nombreux jeunes footballeurs affûte ses crampons de gamin dans l’un des clubs de sa ville de naissance, le FC Düren 77, jusqu’en 1996, année où il change de club, sans toutefois changer de ville, pour le FC 08 Düren-Niederau. Il y apprendra les fondamentaux du football de l’âge de 7 ans à celui de 14 ans. Mais il entre vite dans les radars du club phare de la région, le Bayer 04 Leverkusen et dès l’été 2003 il intègre les équipes jeunes et commence à envisager une carrière de professionnel.

En 2007, il rentre dans l’effectif du Bayer II pour disputer la Regionalliga West (l’équivalent à cette époque de la troisième division), et si en 2007-2008 il ne dispute qu’une rencontre de DFB Pokal (la coupe d’Allemagne), cela mérite d’être signalé car cela correspond à ses débuts en tant que professionnel, un statut qu’il obtient également grâce à ses performances en sélections de jeunes de la Mannschaft qu’il fréquente avec assiduité dès 2004.

Crédit photo : NTVSpor.net

Des débuts internationaux prometteurs…

Deniz est un jeune joueur qui, sur le plan international, révèle son talent dès les U16 avec lesquels il joue à huit reprises, puis en U17 (2 matchs et son premier but international), U18 (4 matchs, 3 buts), U19 (15 matchs et 9 réalisations), U20 (6 matchs, 3 buts) jusqu’en U21 (2 matchs et une réalisation). C’est donc toutes les sélections jeunes que parcourt Deniz entre 2004 et 2009.

Parallèlement, il confirme sa place en 2008/2009 au Bayer II pour lequel il joue à 11 reprises et marque deux buts, toujours en Regionalliga. C’est alors que se présente une possibilité de jouer un rôle dans un championnat plus huppé, la 2. Bundesliga, puisque le Rot Weiss Ahlen lui fait les yeux doux pendant le mercato d’hiver et parvient à le faire signer pour la fin de saison 2008/2009 : avec une 10ème place au classement obtenue en partie grâce à ses 11 apparitions et 4 buts, Deniz rentre vite sur les tablettes d’un autre pensionnaire de la seconde division allemande et qui affiche, en cette veille de saison 2009/2010, des ambitions sportives importantes pour son centenaire qui approche à grands pas.

Crédit photo : Die Welt

…et une sensibilité internationaliste précoce

Mais laissons un instant de côté les terrains pour nous pencher sur ce qui est peut-être la marque distinctive de ce footballeur hors du commun. Car jusqu’ici, nous avons laissé dans l’ombre l’être humain Deniz Naki. Et pourtant, c’est celui-ci qui en 2009 choisit son club à venir pour les saisons qui suivent, non tant pour ses performances sportives (même s’il a des ambitions comme nous le disions plus haut) mais bien pour ses valeurs en adéquation avec celles qu’il défend lui-même. En effet, Deniz est un jeune Allemand qui n’oublie pas que sa famille est originaire d’une région de Turquie, la province de Dêrsim (en kurmandji) en Anatolie orientale : majoritairement kurde et de religion alévie, elle a vu naître un révolutionnaire marxiste important en Turquie et toujours présent dans la mémoire des habitants de ces terres traditionnellement de gauche, Ibrahim Kaypakkaya. D’ailleurs, on retrouve tatoué sur son bras droit le nom de cette ville des origines familiales et le numéro de la province, 62.

Crédit photo : dialectik-football.info

C’est pour cet ensemble de raisons que tout était réuni pour que le FC St. Pauli et Deniz Naki finissent par se rencontrer et se dire oui l’un à l’autre.

Un club sur mesure pour Deniz, un joueur idéal pour le FCSP

Ainsi, à l’été 2009, fort d’une demi-saison remarquée à Ahlen, le jeune Allemand d’origine kurde s’engage en faveur des Kiezkickers. Et l’identification du joueur aux valeurs prônées par le FCSP se double rapidement d’une réciproque des fans envers le jeune joueur qui défend les combats pour la reconnaissance et la liberté de peuple kurde. Et dès le 2 novembre 2009, lors d’un match à l’enjeu important face au Hansa Rostock, chez les adversaires idéologiques des fans du club de quartier, il marque les esprits en célébrant avec un geste de couteau sous la gorge son but du 2-0 pour les Boys in Brown (voir la vidéo ci-dessous) : la symbiose est en train de se constituer entre la scène des fans et un joueur qui devient peu à peu la coqueluche du Millerntor autant pour ses prestations sportives que pour ses prises de position politiques. Au niveau des premières, lors de cette première saison au FCSP, ce sont pas moins de 30 apparitions en championnat ponctuées de 7 buts (à quoi s’ajoutent 2 matchs et 2 buts en DFB Pokal).

Ascension et chute : aléas politiques et sportifs

La saison 2009-2010 est un grand succès sportif pour le club des Braun-Weiss et Naki est un des artisans principaux de la montée en Bundesliga pour l’année du centenaire du club. La suite des événements sportifs n’est pas aussi positive et malgré ses 20 matchs (plus un en Coupe d’Allemagne), l’ailier ne parvient à trouver le chemin des filets qu’une seule fois (en championnat) durant toute la saison 2010-2011. Ces performances moyennes sont celles de toute l’équipe qui ne parvient pas à se maintenir dans l’élite et retrouve dès 2011-2012 la 2. Bundesliga.

Cette année-là, à la suite des Printemps arabes, la Syrie connaît la déflagration d’une guerre abominable pour les populations civiles et qui dure jusqu’à aujourd’hui. La situation des Kurdes de Syrie est particulièrement difficile et Deniz ne reste évidemment pas insensible au sort des combattant-e-s des YPG (Unités de Protection du Peuple) engagé-e-s dans les batailles du Nord du pays. Toutefois, il continue son parcours de professionnel au FCSP et revêt 24 fois le maillot du club pour 4 buts marqués en 2011-2012, obtenant une très honorable 4ème place en 2. Bundesliga.

Crédit photo : kicker.de

Les histoires d’amour finissent mal

Enfin, en général, comme le dit la chanson. Pourtant, c’est bien ce qui semble s’être passé entre Naki et le FCSP puisqu’au terme de la saison 2011/2012, il décide de ne pas renouveler son contrat et part du club. Quelle en fut la raison ? Difficile à dire car peu de choses ont fuité de cette situation mais si l’on se penche sur les articles de presse de l’époque, il semble bien qu’il y ait eu une sorte de « fin de cycle » ressentie par de nombreux joueurs du groupe de cette période, Naki n’ayant pas été le seul à quitter les bords de l’Elbe durant ce marché des transferts de l’été 2012.

Il tente alors l’expérience dans un autre championnat et passe un test à Nottingham Forrest, jugé toutefois non satisfaisant par le club anglais et après quelques semaines, il revient en 2. Bundesliga, cette fois au SC Paderborn 07 en toute fin de fenêtre des transferts. Pour ce club, il joue à 23 reprises et trouve les filets deux fois durant la saison 2012-2013.

Crédit photo : transferticker.de

Départ vers la Turquie : un retour aux sources agité

Puisqu’il possède le passeport turc et qu’il se sent impliqué dans la lutte des siens dans ce pays, il saisit, à la fin de la saison 2012-2013, l’occasion de jouer dans la capitale du pays déjà tenu d’une main de fer par Recep Tayyip Erdoğan et où au cours du mois de mai les opposants se réunissent en masse sur la place Taksim. Il signe donc pour le Gençlerbirliği SK d’Ankara à l’été 2013. Ses opinions qu’il ne cache pas, en faveur des Kurdes qui résistent armes à la main aux troupes de Daesh mais sont accusés de terrorisme par le régime autoritaire au pouvoir, ne sont pas du goût de tout le monde en Turquie : Deniz est agressé physiquement le 2 novembre 2014 à Ankara en raison de son soutien aux Kurdes engagés dans la résistance à Daesh dans la ville de Kobanê. Ses agresseurs lui intiment de quitter la ville, le pays, le club. Ce qu’il fait sur le champ (en ce qui concerne le club et la ville), après un peu plus d’une saison et 21 présences.

Crédit photo : alchetron.com

Direction l’Anatolie orientale et Amed

Appeler Amed (en kurmandji) la ville où Deniz Naki se rend à la suite de cette vile agression est un choix politique : en turc, elle se nomme Diyarbakır et constitue le centre urbain considéré comme capitale par le peuple kurde dont les droits sont bafoués par le régime en place dans l’ancien empire ottoman. Et c’est dans le club d’Amedspor (Amed SK), bien sûr, que signe le joueur en août 2015 après avoir été approché par des clubs allemands ou néerlandais. Ce club peut être considéré officieusement comme une sorte de mini-sélection du peuple kurde en Turquie et d’ailleurs le choix de ce nom est significatif et a lieu en réponse aux actes d’héroïsme de la résistance kurde à Kobanê. Le contexte n’est pas des plus sereins étant donné que cette période est marquée par l’attentat perpétré par Daesh à Suruç (20 juillet 2015) qui fait 33 morts essentiellement parmi les militants et sympathisants kurdes. En plus d’être attaqués par Daesh, les Kurdes de Turquie subissent les représailles de commandos turcs qui s’abattent sur des districts du pays majoritairement kurdes (Cizre, par exemple, ou Sur, un district historique de Amed).

Mais, malgré ces événements politiques accablants, Deniz Naki reste un footballeur et il participe activement à une campagne, en forme de résistance, de son club d’Amed SK en Coupe de Turquie qui va marquer les esprits au cours de la saison 2015-2016. En phase de groupe, le petit poucet bat Bandırmaspor (club de seconde division) sur son terrain 2-1 et retrouve un adversaire contre lequel il n’est pas difficile de se motiver : le Başakşehir, proche du régime d’Erdoğan et de son parti l’AKP et pensionnaire de Süper Lig. Match accroché, 2-2, à Amed et le modeste club kurde continue sur sa lancée en battant Sanliurfaspor chez lui (2-0) et en récidivant à Amed (1-0). Ensuite, il suffira de deux matchs nuls (3-3 contre Bandırmaspor à Amed et 2-2 à Ankara contre Başakşehir) pour se qualifier pour les 1/8èmes de finale : victoire 2-1 contre Bursaspor avec un but de Deniz Naki. En 1/4 de finale, l’aventure s’arrête avec un résultat sur deux rencontres de 6-4 pour Fenerbahçe mais signalons que le match aller (3-3) à Amed se joue à huis-clos dans un climat pesant avec la police dispersant les supporters du petit club kurde à coups de gaz lacrymogènes.

Crédit photo : fanatik.com.tr

Taclé durement par les événements et le pouvoir mais toujours debout

La victoire contre Bursaspor en Coupe de Turquie est célébrée par Deniz sur les réseaux sociaux qui la dédie, très politiquement, aux victimes de la répression turque dans les régions kurdes du pays : « Nous vivons la fierté et le bonheur d’être une lueur d’espoir, même petite, pour notre peuple, dans une époque si difficile. En tant qu’Amedspor, nous n’avons pas baissé la tête, et nous ne la baisserons pas. Nous sommes entrés sur le terrain avec notre foi en la liberté et nous avons gagné. […] Nous devons des remerciements, à notre peuple, nos intellectuels, nos artistes, nos politiques qui ne nous laissent pas seuls et nous dédions cette victoire à nos blessés et à nos morts qui ont perdu leur vies dans cette persécution qui dure depuis plus de 50 jours sur nos terres ». Cela lui attire évidemment les foudres de la fédération turque qui le suspend pour 12 matchs et lui inflige une lourde amende. L’État s’en mêle également et l’inculpe pour « propagande terroriste » avant de finir par l’acquitter à la fin 2016.

Malheureusement, les persécutions ne s’arrêtent pas là et, dès avril 2017, il est à nouveau poursuivi par la justice turque et condamné cette fois à 18 mois de prison. En août de la même année, alors qu’il joue pour Amedspor un match que son équipe va gagner 7-0 (avec un but de lui) et qu’il est sur le point de tirer un coup franc, un supporter de l’équipe adverse l’agresse physiquement.

Crédit photo : dialectik-football.info

Épilogue

Pour clore ce parcours haut en rebondissements sportifs et extra-sportifs, évoquons les coups de feu qu’il subit sur une autoroute en Allemagne en 2018 de la part de nationalistes turcs et le fait qu’il est encore une fois accusé « d’apologie du terrorisme » parce qu’il relaie un appel à manifester en faveur des YPG à Cologne. Cette fois, la mesure prise par la fédération turque est une sanction qui sonne comme un glas pour la carrière de Deniz : suspension de trois ans et demi (ou en d’autres termes, à vie) et une très lourde amende. Mais on peut être sûr que même éloigné des terrains, Deniz, en personne combative et fière qu’il a toujours été, n’abandonnera pas la lutte de sitôt.

Pour conclure, laissons la parole à Deniz, dans son prologue au livre de Carles Viñas et Natxo Parra : St. Pauli – Otro fútbol es posible (2018).

« Après mon passage à St. Pauli, j’ai continué à étendre ma motivation au-delà du terrain de jeu. J’essaie d’utiliser l’attention des médias pour que les enfants qui me regardent trouvent un exemple positif en moi en tant que personne et attirent l’attention sur les crimes contre l’humanité qui se produisent. Mon objectif est de faire sourire à nouveau ces visages tristes.
Depuis que je joue à Amedspor, je suis plus disposé que jamais à me battre pour ces objectifs. Je suis venu avec beaucoup d’enthousiasme à Amed, une ville avec une longue histoire, avec des murs aussi merveilleux que ses habitants, qui ont résisté pendant des siècles et sont un symbole de la fraternité des différentes cultures qui y vivent ensemble.
Mais néanmoins, à Amed, des enfants meurent et des gens sont tués et emprisonnés. Et tout ça fait mal. Très mal.
Je veux me lever et m’opposer à toute forme d’oppression. Avec toutes les ressources dont je dispose. Malgré la répression, je continuerai de me dresser et je n’ai pas l’intention de m’incliner.
La dernière chose qu’ils peuvent me voler est mon âme et mon désir de liberté. À St. Pauli j’ai appris que mieux je me trouve sur le terrain avec mon équipe, plus de choses je peux réaliser. À Amed, avec sa population chaleureuse et affectueuse, j’ai trouvé une large solidarité entre les gens. J’ai rencontré des gens fiers qui se lèvent et se battent pour leur dignité.
J’ai beaucoup appris d’Amedspor, peut-être le Sankt Pauli des Kurdes, et je continuerai de le faire
».

Post-scriptum : Le club, les fans et les joueurs du FCSP n’ont pas oublié leur camarade Deniz Naki et, en 2016, les joueurs du club posent tous ensemble en soutien à leur ancien coéquipier aux prises avec les persécutions et les agressions.

Crédit photo : pkfoot.com

Xavier

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