Paulitiques

Une Histoire de l’Antifascisme (Partie 3 et fin…provisoire)

S’il y a bien une idée, un concept politique qui rassemble tous les supporters du Sankt Pauli, c’est celui de l’antifascisme. Les dessins, les tags, les fresques, les stickers antifas sont omniprésents partout dans Sankt Pauli : pas un bar, pas un poteau, sans le célèbre « Antifaschistische Aktion » et son drapeau rouge et noir décliné dans toutes les langues. L’antifascisme, c’est l’ADN du club de Sankt Pauli et plus largement du quartier ! Cependant, si on demande à chaque supporter du Sankt Pauli « qu’est-ce que l’antifascisme ?», il est évident que nous aurons des réponses assez diverses. Ce que nous proposons très modestement à travers cette série de 3 articles c’est une petite histoire rapide de l’antifascisme principalement en Allemagne et en France. Évidemment ces modestes articles ne prétendent pas être la Bible de l’histoire de l’antifascisme : nous n’avons en effet ni dieu ni maître ! Ils sont écrits par un supporter francophone du Sankt Pauli, par ailleurs militant politique et syndical, qui a donc sa propre analyse de l’antifascisme et de son histoire. Ces contributions peuvent être critiquées, commentées, amendées et surtout complétées… Ce dernier texte balaie (forcément très rapidement) les années 1945/2020.

Après la victoire sur le fascisme et le nazisme, l’antifascisme n’est pas le même partout en Europe et change selon l’orientation politique du pays.

Dans l’immédiat après-guerre dans les pays “communistes”, dirigée en fait par Staline et les staliniens, il y a une sorte “d’antifascisme officiel d’État” qui sert à asseoir le pouvoir des dirigeants staliniens en rappelant les réels et immenses sacrifices et efforts des communistes en Europe contre le nazisme et le fascisme. Cet “antifascisme d’État” varie d’ailleurs selon les besoins du pouvoir stalinien. De 1945 à 1953, Staline, qui ne veut qu’on lui fasse aucune ombre, évince certains dirigeants de la “Grande Guerre patriotique” comme Joukov et décide de passer sous silence les actions des Partisans soviétiques durant la guerre. La rupture entre la Yougoslavie de Tito (qui a été le seul avec ses partisans en Europe à libérer eux-mêmes leur pays) et l’URSS stalinienne provoque une sorte de révisionnisme politique qui passe sous silence l’action des résistants dans les partis communistes en Europe. Il ne fait pas toujours bon d’avoir été “brigade internationale”, en 1936 en Espagne, ou ancien chef de la Résistance dans le mouvement communiste des années 50… Les chasses aux sorcières d’anciens résistants ont lieu en Tchécoslovaquie (lire le magnifique livre l’Aveu) ou même en France quand le chef des FTP Charles Tillon est exclu du PCF.

Un timbre de l’état est-allemand commémorant la mort du dirigeant communiste Ernst Thälmann dans les camps nazis
Charles Tillon, chef des résistants FTP, exclu en 1952 du PCF par la direction stalinienne.
L’aveu, livre d’Artur London qui montre comment des Résistants communistes et des militants antifascistes furent assassinés par les Staliniens en Tchécoslovaquie.

Dans la partie de l’Allemagne occupée par les Soviétiques une épuration des cadres nazis, une chasse aux nazis est effectuée de manière assez correcte. En revanche, les États bourgeois de l’Ouest (États-Unis en tête) vont éviter de faire la chasse aux anciens nazis.

Le début de la guerre froide fait que les capitalistes en 1947 ont besoin de remettre des états bourgeois en marche rapidement. Le jugement des grands chefs nazis lors du procès de Nuremberg leur suffit amplement. Ils recyclent ainsi tous les beaucoup d’anciens nazis, fascistes ou d’anciens collaborateurs dans l’appareil d’État pour remettre en place une société capitaliste. On s’appuie sur un patronat de combat, pourtant mouillé jusqu’au cou dans la collaboration et le soutien au nazisme (voir partie 1 de cette histoire de l’antifascisme). On ne compte pas les anciens nazis qui sont directement embauchés par les États-Unis, le nombre de policiers ou de jugés en France qui ne subissent aucune épuration alors qu’ils ont activement participé à l’assassinat de milliers de militants antifascistes durant la guerre.

Les anciens fascistes, notamment France se recycle dans l’anticommunisme primaire comme Georges Albertini ancien bras droit de Déat et du rassemblement national populaire pendant la guerre qui devient le pape de l’anticommunisme et un conseiller occulte mais écouté par beaucoup de dirigeants de la 4ème et de la 5ème République.

Le collabo Georges Albertini, recyclé dans l’anticommunisme, il donne de multiples conseils à de nombreux dirigeants de la 4ème et 5ème République.3*

Les communistes de l’Ouest célèbrent leurs martyrs et dénoncent ces anciens collabos recyclés. Il n’existe pourtant heureusement pas de grandes organisations d’extrême-droite dans ces années 50. Les fascistes font profil bas, la mémoire populaire des sacrifices qu’il a fallu pour vaincre le fascisme et de ses horreurs étant encore trop fraiche dans la tête de beaucoup d’Européens.

Ce qui va changer la donne en France c’est la lutte anticoloniale du peuple algérien. L’extrême droite va renaitre en combattant violemment les indépendantistes algériens du FLN qui réclament que la fin d’un système raciste oppresseur et injuste, ainsi que les militants français indépendantistes.

Une guerre anti-révolutionnaire est menée en créant l’OAS (l’organisation armée secrète) qui va multiplier les attentats En réaction ne nouvelle génération militante très jeune multiplie la dénonciation de cette guerre coloniale et lutte contre l’OAS en France en créant un front universitaire antifasciste. Le Front universitaire antifasciste est formé en réaction au putsch d’Alger du 23 avril 1961 par Alain Krivine, ce dernier étant alors militant de l’Union des étudiants communistes, mais allant dans les six à sept mois qui suivent rejoindre secrètement les rangs des trotskystes. Sa chambre d’étudiant a été plastiquée par des partisans de l’Algérie française, en son absence. Un premier « Front étudiant antifasciste » (FEA) est lancé par plusieurs cercles antifascistes qui se sont créés en Faculté d’histoire, autour d’Alain Krivine puis s’élargissent en FUA (Front uni antifasciste) naissant. Le FUA fédère aussi différents comités d’action antifasciste lycéens et étudiants qui s’étaient créés spontanément depuis la fin des années 50. En quelques jours, la plupart des militants du Quartier Latin rejoignent cette initiative “unitaire par le bas”, obligeant finalement les dirigeants des Étudiants socialistes unifiés et de l’Union des étudiants communistes à s’y joindre et s’y investir. Marc Kravetz, qui est chef du service d’ordre du FUA, réunit 3000 membres du service d’ordre parmi les étudiants des facultés parisiennes qui luttent y compris physiquement contre les partisans de l’OAS et de l’Algérie Française. Le FUA reçoit le soutien de près d’un millier de personnes et d’intellectuels célèbres, Jean-Paul Sartre, Pierre Vidal-Naquet ou Laurent Schwartz. Le PCF et la CGT (mais aussi l’UNEF ou le PSU) mobiliseront aussi contre l’OAS. Les militants seront réprimés par l’État français notamment lorsque la police parisienne au ordre de Papon, pourtant ancien collabo, attaquera une manifestation au métro Charonne, le 8 février 1962, en faisant 9 morts, tous militants CGT (8 militants communistes).

Tag des fascistes de l’OAS à Alger
Manifestation contre l’OAS
Les 9 morts de Charonne lors d’une manifestation contre l’OAS

En Allemagne de l’Ouest la lutte est différente… de jeunes militants juifs regroupés autour de Serge Klarsfeld et Beata Klarsfeld à partir de la fin des année 60 s’engagent dans la recherche des anciens nazis vite réintégrés dans une vie normale dans l’Allemagne de l’ouest. En 1965, alors que Beate attend son premier enfant, le duo se rend à Auschwitz- Birkenau où le père de Serge est mort. Un an plus tard, en Allemagne de l’Ouest, Kurt Georg Kiesinger, figure de l’Union chrétienne démocrate (CDU), est élu chancelier au sein d’une coalition avec le Parti social-démocrate, le SPD. Qui est Kiesinger ? L’homme qui fut directeur adjoint au sein de la propagande radiophonique du Reich vers l’étranger. L’écrivain Günter Grass s’emporte. Un incendie s’allume aussi dans la tête des Klarsfeld. Beate la révoltée publie une tribune contre Kiesinger dans le journal Combat. Deux autres suivent. Une guerre est déclarée. Le combat du couple contre l’ancien haut fonctionnaire nazi va connaître son apothéose en 1968. Le 2 avril, en pleine séance du Parlement à Bonn, Beate la téméraire interrompt un discours du chancelier pour crier « Kiesinger nazi, démissionne », avant d’être expulsée. En Allemagne et en France (aux côtés d’Alain Krivine, Daniel Cohn-Bendit…), elle devient l’une des figures des mouvements étudiants. Et promet publiquement, en bonne adepte des techniques de l’agit-prop d’extrême gauche, de gifler le chancelier allemand. Coup d’éclat, elle y parvient en novembre lors d’un congrès de la CDU. Bilan : une arrestation immédiate, un an de prison ferme finalement ramené à quatre mois avec sursis. Le couple Klarsfeld sera à l’origine de beaucoup de procès, arrestations d’anciens nazis et responsables de la Shoah. Ils militeront contre l’impunité des anciens nazis, Kurt Lischka Herbert Hagen, Ernst Heinrichsohn, mènent un campagne en 1986 contre Kurt Waldheim, officier dans la Wermacht  durant la seconde guerre mondiale , élu président de l’Autriche ils recherchent Alois Brunner puis Klaus Barbie, René Bousquet,…

Beata Klarsfels gifle l’ancien nazi Georg Kiesinger devenu chancelier de l’Allemagne de l’ouest

A la fin des années 60 et durant les années 70, a lieu un affrontement idéologique de plus en plus grand entre le communisme et le capitalisme. Les idées communistes y compris (et surtout) non-staliniennes semblent progresser partout dans le monde : révolution cubaine de 1959, arrivée d’un socialiste qui veut réellement changer la société au Chili en 1970, avec Salvador Allende, guérillas africaines et sud-américaines anticolonialistes et progressistes, défaite de l’impérialisme au Vietnam, font que les États et les capitalistes ne vont pas hésiter à remettre en selle le fascisme ! Pour lutter contre la progression des idées progressistes dans le monde, États-Unis et capitalistes soutiennent les dictatures fascistes et participent activement à la mise en place de tels régimes notamment au Chili en 1973 avec le coup d’État de Pinochet ou en Grèce avec la dictature des colonels de 1967 à 1973. En réaction de grandes campagnes antifascistes et de soutien au peuple chilien et grec, notamment, sont mises en place. Certaines échouent mais d’autres connaissent des succès spectaculaires comme le retour à la démocratie en Grèce en 1973.

Affiche de soutien au peuple chilien après le coup d’état fasciste de Pinochet soutenu par l’impérialisme américain et les capitalistes.

En France et en Allemagne de l’Ouest, les organisations fascistes renaissent et s’affrontent avec une nouvelle jeunesse politisée et radicalisée souvent en dehors des vieux partis communistes dirigé par les staliniens. En France cette extrême-gauche post-mai 68, souvent d’origine maoïste trotskyste ou libertaire, n’hésite pas à vouloir tuer dans l’œuf la renaissance des partis d’extrême-droite et fascistes. Ainsi le 21 juin 1973, à l’initiative de la Ligue communiste, des affrontements extrêmement violents ont lieu autour de la salle de la Mutualité, à Paris, lors de la tenue d’un meeting droite d’Ordre Nouveau. La Ligue communiste est dissoute par le pouvoir, ses dirigeants recherchés et enfermés. En Allemagne de l’Ouest, ce sont les libertaires et le mouvement autonome qui vont mener des actions antifascistes directes contre les groupes néo-nazis. Il serait trop long ici d’expliquer la genèse de l'”Antifaschistische Aktion” qui renaît en Allemagne. Nous renvoyons à la lecture de ce livre précieux : Histoire du mouvement antifasciste allemand de Bernd Langer et Sarah Berg chez Libertalia.

21 juin 1973, la Ligue Communiste attaque en plein jour le meeting d’Ordre Nouveau
Antifa un livre à lire sur l’antifascisme en Allemagne

Avec la crise de la fin des années 70 et des année 80 et 90, des partis d’extrême-droite arrivent à percer pour la première fois depuis la guerre en Allemagne et surtout en France : c’est le Front national de l’affreux Le Pen qui atteint, dès les années 80, 15 à 20 % des voix et les “Republikaners” et le NPD en Allemagne qui rencontrent quelques succès quand les néo-nazis n’hésitent plus à parader dans les rues, notamment après la chute du mur de Berlin en 1989.

Alors que le mouvement ouvrier est en recul partout dans le monde, deux grandes voies vont s’ouvrir pour lutter contre l’extrême-droite : une voix sociale-démocrate souvent manipulée par les pouvoirs en place qui vont juste parler d’antiracisme en organisant notamment des concerts comme le fait SOS-Racisme en France. Même s’il ne faut pas nier l’utilité de ce mouvement, notamment en 1984, le manque d’indépendance de cette association et le fait que ne combatte pas le fascisme dans sa globalité en s’en tenant un antiracisme moral, ne permet pas de faire vraiment reculer le Front national. Un antifascisme plus radical plus d’actions directes s’inspirant de l’Allemagne, naît en France avec des organisations comme le Scalp (plutôt libertaire), Ras l’Front (plutôt proche de l’extrême gauche mouvementiste) puis aujourd’hui les groupes antifascistes locaux (La Horde, l’Action antifasciste, la Jeune Garde, etc.). Ils affirment très justement que “leurs avancées sont faites de nos reculs” et combattent pied à pied l’extrême-droite mais surtout toutes ses idées qui sont aujourd’hui reprises aussi bien par des gens qui se disent de gauche comme Manuel Valls que par le pouvoir de Macron ou par la droite traditionnelle.

1er mai 1995: Ras l’Front deploie une banderole antifasciste au dessus de Le Pen
Affiche du SCALP

Il est plus que nécessaire, en se nourrissant des réussites et des échecs des combats antifascistes du passé, de continuer ce combat pour faire reculer définitivement l’extrême-droite et ses idées. En ce début de XXIème siècle, la tâche est ardue mais plus que nécessaire pour tout militant.e du mouvement ouvrier, pour toute personne attachée à la liberté et l’égalité sociale. Nous, supporters du Sankt Pauli, nous y prenons toute notre place !

ANTIFA: partout toujours…..
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